TRACE : LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION
Le philosophe ne saurait se limiter à la « relecture » des questions anciennes. Il peut aussi examiner des concepts nouveaux afin de comprendre l’état, les préoccupations, les mouvements du monde. Ainsi en est-il du concept à la mode de « principe de précaution ».
Naguère on parlait de prévention comme d’une méthode permettant d’esquiver les malheurs dus principalement aux erreurs d’appréciation des dangers qui nous guettent, voire d’envisager l’avenir. Aujourd’hui il semblerait que cette disposition ne suffise plus !
Pire, la précaution comme simple substantif qui qualifie l’attitude de l’individu, aux aguets en prévenance d’un danger, apparaît fade, et en tous cas insuffisante !
Aujourd’hui on y ajoute le « principe », c'est-à-dire un système de pensée, une réflexion primordiale, qui oblige l’acteur à se conformer à un ensemble de règles. Cette loi édictée empêche t’elle l’assujetti à oser s’aventurer, à transgresser l’interdit ? Aurait-on arrêté une fois pour toutes le cadre de nos compétences comme si l’exactitude des conséquences s’imposait à tous…sans discussion possible ?
L’événement possible, évitable grâce à une action efficace : tel est le schéma de pensée auquel il faudrait renoncer ?
Alors ce « principe de précaution », nous défend-il ou nous fait-il défense ?
DE QUOI S’AGIT-IL ?
« En termes de naissance historique on observe que le principe de précaution apparaît en opposition à la prévention notamment dans le domaine économique à partir des années 80. La prévention contre les risques de mévente ne suffit plus à assurer aux fabricants un revenu aussi considérable qu’ils le souhaiteraient. En effet le consommateur acheteur se trouve détenir un choix d’un trop grand nombre de produits. Ceci nuit à la rentabilité du commerce. On va donc s’ingénier à établir des normes « ISO... »- à interpeller l’acheteur dans ses choix par des sondages multiples et variés. Ceux-ci s’arrogent le titre d’« enquêtes de satisfaction »…dans le but apparemment louable de fabriquer au plus près des besoins et donc limiter les produits à faible vente ou trop spécifiques. L’argument majeur de cette opération prend le joli mot de « standardisation ». Mais comment abattre la position des fâcheux qui prétendent que leur inclination personnelle leur fait préférer des produits déjà disponibles et qui ont faits leurs preuves, même en petit nombre et surtout réparables ? En outre il faut créer le besoin: par exemple le produit de vaisselle acheté c’est quand même mieux que la cendre, même si la composition chimique est identique.
Il faut un impératif moral, une sorte de caution qui mette en évidence que le rejet des risques potentiels est plus justifié que les risques avérés. Les risques avérés qui ont pour réaction la prévention, sont déterminés par la science. Celle-ci donne des injonctions suite à l’expérience comme par exemple les études sur l’amiante. En revanche le risque potentiel qui est fondateur du principe de précaution, induit qu’il n’est pas nécessaire de faire une expérience dont le résultat est trop aléatoire. Mais surtout ce risque potentiel justifie une moindre variété de produits et réduit les besoins financiers en amont de la vente. Au total « nous avons déjà fait nos prospectives, nous savons ce que nous avons à vendre donc à produire ». « C’est votre sécurité d’acheter ce qui vous est proposé dans votre seul intérêt ! » Le principe de précaution prétend protéger, materner l’acheteur tout en l’incitant à rejeter les vieilles modes, cultures, imaginations. Mille exemples existent pour les plus anciens d’entre nous - les plus jeunes n’auront pas cette mémoire- les actes du passé auront disparu car on aura persuadé tout le monde que ce qui vient d’avant, c’est ringard ! »
Mais le tour de force des inventeurs du principe de précaution ne réside pas seulement dans l’argument économique sécuritaire mais aujourd’hui dans la captation de la nature dont on change même le nom pour l’appeler écologie, environnement, biodiversité ! Les missionnaires ne s’arrêtent pas au respect de la nature des choses, ils nous ventent le soit disant « durable ». Il faut acheter écolo, bio, en clamant même que le pet des vaches nuit à la couche d’ozone ! Le climat n’aurait jamais évolué sans la présence néfaste de l’homme, ce pelé ce galeux d’où vient tout le mal ! Cet acharnement moral n’est pas sans conséquence de décisions anarchiques. Ainsi après la crise dite de la vache folle, on élimine sans discrimination des troupeaux entiers par « principe de précaution » et on favorise la stabulation des ruminants au mépris des lois naturelles qu’on prétend défendre. Le Tsunami émeut; l’homme blanc se sent concerné tandis que l’ouragan sur la Louisiane permet à l’inverse de relativiser : « c’est habituel dans ces régions-là !» ; il n’empêche que la climatisation à outrance « c’est bien ». L’individu est rendu étranger à la nature sous prétexte de la nécessité de « mettre des barrières » sous forme de sécurisation de nos sociétés repues.
LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION NUIT IL A NOTRE HUMANITÉ ?
Au lieu de susciter une volonté de prévention des risques, le principe de précaution devient l’agent de la puissance publique. Il permet seul de désigner l’incertain ! En étant inscrit dans la constitution, le principe prétend dire « le vrai » lequel s’impose à tous comme chacun sait !
Pourtant en désignant d’emblée ce qui est bon, on réduit le champ du possible. On interdit aux scientifiques d’envisager d’autres formules, on réduit aussi le rêve à Disney Land !
En clamant des vérités indiscutables on va à l’encontre du but affiché. Ainsi en fut-il du « 11 septembre » dont le caractère impossible éclate à la figure du monde « libre ». Comme l’écrit Jean-Pierre Dupuy philosophe, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École Polytechnique et à l’université de Sandford « l’incertitude n’est pas l’obstacle, c’est l’impossibilité de croire au pire »…C’est surtout une fuite devant nos responsabilités qui conduit les escrocs à exporter nos poubelles en Côte d’Ivoire. Bien sûr ces gens-là n’ont pas les moyens d’appliquer le principe de précaution de la loi Barnier laquelle ne fait obligation même en France qu’au vu des moyens économiques disponibles ! En rejetant les mesures de prévention comme insatisfaisantes on pousse tout le monde à s’assurer contre tout, comme si avec de l’argent on effaçait ses crimes ! La « judiciarisation » de la société autorise de belles rentrées financières, mais aussi elle permet tous les manquements à la véritable obligation à répondre de ses actes !
Pourquoi s’éloigner aussi fondamentalement de ce qui distingue l’homo sapiens du reste de la nature, c'est-à-dire la prise de risque liée à l’imperfection comme par exemple la conservation des récoltes? En effet c’est bien principalement l’imperfection qui permet de rebondir …de prévoir, de prévenir de bénéficier des astuces de l’inconnu. Plus près de nous, à propos de la découverte de la vaccination contre la rage le principe de précaution aurait commandé de mettre des clochettes au cou de tous les enfants mordus par un chien ! Pasteur, lui observe les animaux, leur bave…et arrive non seulement à guérir mais aussi à prouver que le concept de génération spontanée n’existe pas !
En faisant une règle politique du principe de précaution, les gouvernants seront-ils capables d’accepter à l’avenir la confrontation diplomatique et l’acceptation des différences ? Par principe de précaution ne va-t-on pas déclencher de guerre nucléaire contre ceux qui tenteraient de détenir la bombe sans notre accord ?
Ce qui se joue dans le principe de précaution n’est pas une simple nuance de langage, c’est l’injection de fausses peurs qui doivent conduire le troupeau où l’on veut qu’il paisse. Récemment la Fondation Lejeune très estimable par ailleurs, vient de réclamer au nom de ce principe, l'interdiction par le Parlement d'autoriser les médecins à proposer le diagnostic prénatal. Ainsi par la confusion entretenue avec la prévention, on assiste à une réorientation des valeurs et la réécriture de l’histoire. Celle-ci s’opère grâce aux repentances qui permettent de culpabiliser les vivants et de ringardiser la prévention !
A ce stade on peut se demander si le principe de précaution n’est pas un empêchement à nous adonner aux sciences et aux débats ? Pourtant n’est-ce pas en transgressant les règles communes, les « grands principes intangibles » que les chercheurs ont pu découvrir le monde et son fonctionnement ? « Et savoir plus implique parfois la découverte de complexités cachées » rappelle Dupuy. Le principe de précaution… une nouvelle manière de gouverner l’esprit des peuples riches ? «Le principe de précaution est à remiser au magasin des fausses bonnes idées » conclut le professeur Dupuy.
Bertrand LEROLLE