Trace – LE BONHEUR : ILLUSION OU EFFET DE VOLONTÉ ? |
Le dictionnaire permet il une approche ?
« 1/ État de complète satisfaction, de plénitude 2/ Heureux hasard, chance, joie, plaisir
« nous avons eu le bonheur de la rencontrer », « porter bonheur, porter chance »,
« la bonne fortune », «trouver son bonheur » ce qu’on cherche…atteindre l’équilibre de l’âme et du corps. Le bonheur apparaît comme un état intérieur. Il est « dans la tête » et il semble se décomposer en plusieurs niveaux de satisfactions et d’accomplissements : du corps, du devoir, du vrai, du beau… Tout ceci est bel et bon mais est ce que cela recouvre toute la notion que les philosophes ont voulu y mettre, ou railler ?
Notamment comment relever l’ambiguïté qu’il y a à décrire ce qui semble plus subjectif et particulier à chaque conscience que de l’ordre du concept dur ?
Faut-il absolument croire comme Comte-Sponville qu’il s’agit d’une question de temps (bonne heure), ou de durée suffisante ? Sous quel critère ?
Peut-on limiter le bonheur au seul ressenti d’une émotion si grande et justifiée soit elle ? N’y a-t-il pas aussi dans ce sentiment de bonheur une maîtrise et des exigences ? Encore ne faudrait-il pas confondre plénitude et plaisir…
Confusément nous sentons bien pourtant que notre vie personnelle passe peu ou prou par la recherche du bonheur…Illusion répliqueront les septiques, à moins que cette ambition ne nous soit que partiellement autorisée
Comment croire en effet que le bonheur consiste en une totale béatitude ici bas si l’on croie en l’au-delà ? Pour les croyants, le bonheur est plus sur terre le résultat d’un instant émouvant sans conséquence…comme peut l’être une illusion. Alors qu’en récompense de ses mérites l’homme atteint le seul bonheur qui vaille : celui de retrouver le Père éternel !
Dans cet ordre d’idées le conte italien de « la chemise de l’homme content » nous montre bien que le bonheur est bien éloigné de la possession – ne serait-ce que d’une chemise !… « Heureux les simples d’esprit », Ceci est bien dans le droit fil de « la parole »…quitte tout, ne regarde pas en arrière, suis moi ! Mais aussi dans ce qu’enseigne le Coran «En vérité, pour ceux qui craignent Allâh, il y a un séjour de vrai bonheur, des vergers et des vignes, des vierges aux seins ronds et fermes, et d’âge égal au leur, avec des coupes pleines. Ils n’entendront là ni discours futile, ni mensonge » sourate 78, versets 31,35.
Les intellectuels croyants sont tous dans cette ligne de pensée d’une joie limitée en intensité et dans le temps : pour Pascal «ça n’existe pas », pour Lacordaire « c’est l’éclair qui passe », Jules Renard «la salle d’attente ». Finalement peu de choses mais un état d’esprit sinon une espérance en Dieu. Elle ne pousse pas au suicide mais au mépris des futilités d’ici bas. Finalement cette aptitude au bonheur s’inscrit bien dans une sorte de spiritualité qui consiste à retrouver son œil d’enfant…en se laissant guider par le hasard. Mais la morale voudrait peut-être que les méchants ne puissent pas être heureux, à moins qu’ils ne trouvent dans leur crime une illusion du bonheur ! A l’inverse Descartes affirme dans sa lettre à Elisabeth du 18 août 1645 «Je crois pouvoir ici conclure que la béatitude ne consiste qu’au contentement de l’esprit, c'est-à-dire au contentement en général…pour avoir un contentement qui soit solide, il est besoin de suivre la vertu c'est-à-dire d’avoir une volonté ferme et constante, d’exécuter tout ce que nous jugeons être le meilleur et d’employer toute la force de notre entendement à en bien juger » A cet égard il convient de distinguer le bonheur du plaisir, de la jouissance mais à l’inverse de s’interroger sur la plénitude de sa propre vie, et de l’harmonie de toute sa vie.
Proust s’exprime en terme de vacuité : « c’est l’absence de désirs » qui revient à se satisfaire de ce que l’on a !
Mais nombre de philosophes parlent du bonheur sur des octaves différentes. Diderot l’assimile au devoir, tandis qu’Epictète annonce clairement le stoïcisme en clamant dans son exposé éponyme « il n’y a qu’une route vers le bonheur, c’est de renoncer aux choses qui ne dépendent pas de notre volonté !»
Tous les penseurs y vont de leur conception…tel Epicure qui s’efforce de nous dire à quoi cela sert dans sa lettre à Ménécée « Une vie heureuse est impossible sans la sagesse, l’honnêteté et la justice et celles-ci à leur tour sont inséparables d’une vie heureuse » Cette même idée sera reprise par Nietzsche qui à sa manière, s’exclame «Beaucoup de gens ne sont capables que d’un bonheur réduit : le fait que leur sagesse ne puisse leur procurer plus de bonheur ne constitue pas un argument contre elle…Puisse chacun avoir la chance de trouver justement la conception de la vie qui lui permet de réaliser son maximum de bonheur… » (dans Aurore 1880 p 345) montrant ainsi que tout dépend des gens qui le définissent pour eux-mêmes. En effet, il est clair que le bonheur est difficilement partageable. Même si on aimerait bien donner du bonheur aux autres; cela reste du domaine de l’intime. En tous cas il s’agit bien de le construire comme un « un combat de tous les instants » comme le proclame O. Wells.
En conséquence il est bien clair que le bonheur pour soi a toutefois des limites. Lorsqu’on prétend que son propre bonheur consiste à provoquer le malheur des autres, il y a là un hiatus ! Par exemple la pédophilie ne peut s’envisager sereinement comme un bonheur personnel dès lors qu’elle détruit quelqu’un d’autre. Ainsi comme être social l’être humain construit son bonheur en considération d’autrui, sinon il ne peut y avoir d’estime de soi.
Saint Just toujours pertinent, écrit dans un rapport (sur le mode d’exécution du décret contre les ennemis de la Révolution), « le bonheur, une idée neuve en Europe », ce qui peut s’interpréter aussi comme la volonté de revenir aux concepts précédents le christianisme, c'est-à-dire le stoïcisme. Il suppose l’estime de soi au point de réaliser des actes dont on puisse être fier, et il insuffle à la puissance publique la responsabilité du devenir des peuples…Comme si finalement on se devait aux autres et à soi-même d’être heureux. Car il s’agit bien de travailler à son bonheur. Ceci réclame de la méthode pour être conscient des obstacles afin de mettre tout en œuvre pour les surmonter. Oui le bonheur s’apprend comme la gymnastique, c’est un travail sur soi. On peut faire flèche de tout bois, ainsi le malheur n’est pas forcément l’inverse du bonheur. Il peut même aider à l’atteindre comme le dit Alain « on pourrait même dire que plus l’existence est difficile mieux on supporte les peines et mieux on jouit des plaisirs » voici le bonheur et le malheur relativisés. Ce qui est important ici n’est pas de graduer les différents stades du bonheur mais bien de le vivre.
On le voit bien. Il devient plus facile de donner la préférence à la volonté qu’à l’illusion si on admet que le travail sur soi, l’estime et l’empathie constituent des approches d’une plénitude assumée.
La foi est ici déterminante pour les croyants mais d’un autre coté l’humanisme permet la sagesse et il induit des capacités au bonheur total sans autre référence que celles de la vie comme l’évoquait Nietzsche.
En revanche s’il faut bien choisir son camp, on peut toujours en changer sans honte grâce à une nouvelle conviction. C’est la conviction qui permet toutes les audaces et les efforts. Dès lors la volonté d’aboutir va de soi et elle a de bonnes chances d’être couronnée du succès.
Cet accomplissement n’est ce pas finalement aimer la vie, et réussir la sienne ?
Bertrand LEROLLE